juillet 2000 - juin 2004

Épilogue

Mercredi 13 juillet 2000. Je n'arrive pas à trouver Kim. Rien à raconter alors pour cette fois j'essaie d'imaginer. D'évacuer un peu tous les soupçons que je peux avoir, un soupçon de dépression. Le résultat me ressemble beaucoup, un peu trop forcé pour être vrai. Pourtant sur beaucoup de points je ne tombe pas très loin de la vérité.

Un coin de mur lépreux. Une gare, un entrepôt ou une rue déserte, indifféremment. Il fait nuit, éclairage orange des lampes à sodium. On entend le bruit de la pluie, et parfois des éclats de voix. Dans un angle, une goutte d'eau tombe régulièrement. Entrent deux personnages.

  • Elle Tu t'es coupé la moustache ?
  • Lui Oui.
  • Elle Peur ?
  • Lui Tu rigoles ! Enfin j'aime autant ne pas provoquer.
  • Elle Je crois pas que tu devrais t'en faire. Avec la pluie, on est enfin tranquille, il viendra pas aujourd'hui.
  • Lui Heureusement. Il devenait assez pénible à venir tous les soirs, pas moyen de travailler tranquille. Mais sans train peu probable qu'il vienne effectivement.
  • Elle Quand même, t'as été fort avec lui.
  • Lui C'est toi qui n'a pas demande assez.. Il est si naïf, ça aurait été facile, ça aurait été facile d'avoir bien plus !.
  • Elle Je manque sans doute encore de technique. Et puis, je crois que j'ai préparé le terrain pour toi. Pourtant j'avoue trouver l'histoire dont je me sers avec les touristes moins incroyable que la tienne.
  • Lui Justement, c'est comme ça que ça marche avec eux. Si tu commences avec quelque chose de trop simple, ils risquent de se méfier, de deviner que tu inventes. Mais en utilisant un récit vraiment complexe, ils accrochent a tout les coups : parce qu'ils pensent qu'un mensonge ne pourrait pas être aussi gros.
  • Elle C'est vrai que je me demande encore ou tu trouves toutes ces idées. Toutes ces histoires sur ta famille, ton métier, les endroits où tu es allé ...
  • Lui Vingt ans de pratique, ça apprend quelques trucs. Un peu de ma vie, un peu de ce qu'ont pu me raconter d'autres naïfs, et le tour est joué. Et puis surtout garder un air rêveur, doux, innocent, s'adapter au client quoi. Je crois que c'est ça qui a le mieux marche avec lui.
  • Elle Et tu ne te contredis jamais ? Déjà, avec mon histoire j'ai parfois du mal à retomber sur mes pieds.
  • Lui Parfois. Mais avec le petit Français, c'était vraiment formidable. Il semblait si désireux de m'aider, tellement naïf. Oh, j'ai bien dû une fois ou deux manquer de cohérence. Et quand bien même il l'aura remarqué, je crois qu'entre sa maîtrise de l'anglais, mon supposé désarroi et sa candeur, il n'a pas manqué d'excuses pour ne pas y prêter attention.
  • Elle Dommage que l'on n'ai pas pu continuer. C'était pas un mauvais filon.
  • Lui Oui, je suis assez fier de moi. Trois fois que j'ai pu le faire cracher.
  • Elle Et le coup de l'hôtel, comment tu as fait ? Tu avais vraiment réservé ou le réceptionniste est de mèche ?
  • Lui Secret professionnel. Chacun ses petits trucs.
  • Elle Tout de même, on est généreux. On lui aura appris la vie à ce petit. Et à ce prix c'est presque donné.
  • Lui C'est vrai. Heureusement qu'on est là.

Ils rient.

  • Lui Je crois que même après avoir vu l'autre imbécile de Dorji il m'aurait encore cru innocent. Non, ce qui a vraiment du le convaincre c'est cet Indien qui lui a parle de moi. Aller raconter que je propose régulièrement de la drogue et des filles aux touristes de passages, ça a dû démolir mon image. Maintenant, j'aime autant l'éviter.
  • Elle Je dois dire que sans les Indiens l'Inde serait un vrai paradis.
  • Lui Les Indiens sont des chieurs.
  • Elle Les Indiens devraient tous crever.

Tout deux éclatent de rire. On entend des pas qui se rapprochent. Silence. Ils recommencent à parler, à voix basse d'abord, puis plus fort.

  • Elle Tout de même, tu y as été un peu fort en lui parlant de moi comme d'une droguée.
  • Lui C'est pas vrai peut-être ?
  • Elle regard noir On ne pose pas ce genre de question à une dame. Et même, pour le gros ivrogne, quelle idée de le faire passer pour gay.
  • Lui Ca aussi c'est assez plausible. Et puis il est pas vraiment de la bande. D'accord, il ne paie jamais ses consommations, mais enfin comme somme c'est vraiment ridicule.
  • Elle Et maintenant ?
  • Lui Maintenant la vie continue. Pas de contraintes, juste un ou deux touristes si on a besoin d'argent, la belle vie, comme d'habitude.
  • Elle Et si on le recroise ?
  • Lui Peu de risques. Dans deux semaines, il disparaît. Et quand bien même il nous verrait, je suis sûr que ce serait avec son sourire habituel.

Ils repartent. La lumière s'éteint.

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