mai 2000 - juin 2004

Encore moi

Mardi 30. Second grand week-end : Goa, ses églises, ses plages.

Je me ferais quasiment rare ces derniers temps.

Tout passe très vite et je trouve peu le temps d'écrire. Après le week-end (la journée) a Aurangabad, la semaine qui a suivi est passée a toute allure. Juste le temps de réserver mon billet de train, de faire laver mes affaires et de rattraper (un peu) mon sommeil en retard avant de repartir pour Goa. Puisque je n'ai pas non plus eu le temps de prendre de notes sur son déroulement, je vais essayer de retracer tout ça de mémoire. On ne m'en voudra donc pas des raccourcis que je pourrais emprunter, des juxtapositions abusives et autres procédés malhonnêtes. Après tout, c'est un des privilèges de l'écriture. Si je voulais quelque chose d'exact, je prendrais un caméscope et filmerais tout. Mais il y a peu de choses plus ennuyeuses qu'un film amateur. Parce que lorsqu'on vit les instants fixes sur le film la pensée reste libre et on peut mentalement composer une scène bien plus dense que les bribes qui en subsistent sur le film, contrairement au spectateur qui sera restreint au cadre étroit d'un écran vidéo. Donc je vous propose un montage de ces instants, un tour guide en essayant de n'en montrer que le plus intéressant. Si je savais tenir un crayon, j'en aurai sûrement fait des croquis. A défaut j'en photographie certain, mais je suis toujours déçu par le décalage entre ce que j'ai cru fixer et ce que je vois ensuite.

Vingt-deux heures et quelques minutes, j'arrive (presque une habitude) a Victoria Terminus (CST selon la nouvelle dénomination officielle) et trouve (avec un peu d'aide) mon train et mon wagon. Je suppose que les places réservées aux touristes sont groupées dans les trains puisque je me retrouve en compagnie de deux Hollandais, lui a quarante ans (avec un nom ou traîne un "r" imprononçable) et elle trente-six ("Yowleen"). Assez bavards tout les deux (ça me change des canadiens de mon voyage précédent, mais je fais assez peu d'efforts pour entretenir la conversation). J'apprends donc qu'elle est danseuse et lui musicien, que tout deux sont dans une troupe qui vient de terminer deux ans de travail (composition et présentations) sur un spectacle passe dans plusieurs villes de leur pays, suite a quoi ils ont décidé de prendre leurs premières vacances depuis longtemps. Pas des petites, trois mois, et a priori un peu téméraire compare a leur budget. Mais ils se répètent, pour s'excuser partiellement auprès des autres et auprès d'eux-mêmes, que c'est pour travailler et apprendre un nouveau style de culture. Ils ont passes pour l'instant trois jours en Inde, en grande partie a dormir. Ils sont encore tout émerveillés de ce qu'ils découvrent, attires ou choques, et l'enthousiasme qu'ils montrent a chaque instant me fait quasiment passer pour blase en comparaison. Tenue hippie pour tout les deux, le style, l'esprit, la cigarette peu homologuée... Extrêment sympathiques quoi. Peu après le départ, une "dame" nous aborde et commence a demander de l'argent. Nous ne comprenons rien a son discours et un Indien de nos voisins fini par la renvoyer assez vertement. Je peux alors commencer a expliquer a mes deux compagnons de voyage la signification du mot "eunuque" (le même en Anglais, tel que cite par notre voisin Indien lorsque nous lui avons demande des explications sur la scène, qu'en Français, mais inconnu au répertoire Hollandais). Je ne sais pas (mais je l'ai lu) le nom de ce groupe, non plus que la raison de leur castration, mais au moins je peux donner les éléments suivants: qu'elles sont nombreuses a Bombay (les Indiens utilisent le féminin a leur sujet) puisque j'en croise régulièrement que ce soit dans le train ou sur marine drive, et que comme d'autres professionnels leur seule ressource est la mendicité. Je monte sur ma couchette (cette fois-ci j'ai réussi à avoir celle du dessus au moment de la réservation) et je m'endors rapidement. La température est agréable, le train me berce doucement, et au matin le réveil se fait doucement, berce par la musique. Au départ je crois qu'il s'agit d'un quelconque artiste indien venu quémander, puis vu que ça a l'air de durer je pense plutôt a une radio. Je m'interroge quelques instants sur le niveau de mon QI lorsque je réalise simultanément deux évidences: premièrement que pour un séjour à la mer il aurait fallu rajouter a mon paquetage de la semaine précédente une serviette et un maillot de bain (réflexion faite trente-six heures après avoir minutieusement préparé mon sac), deuxièmement que la source musicale actuelle est un accordéon manie par le hollandais mélomane. J'invoquerai comme excuses, pitoyables mais il me faut bien chercher une explication, que je m'attendais assez peu a entendre de l'accordéon au fin fond du sous-continent indien, qu'amener un accordéon en voyage avec soi c'est assez peu courant, et enfin qu'il en jouait d'une façon bien différente des flonflons d'un bal musette. Je descends donc de ma couchette, m'assoit a cote du couple, face a une banquette ou se groupe l'auditoire indien, tout le wagon semble s'être rassemble dans le couloir pour écouter. Par la fenêtre le paysage est magnifique (de la haut je ne le voyais pas), très différent de Bombay et des steppes d'Aurangabad. Palmiers et végétation tropicale recouvrent tout, la couche uniforme de vert qui recouvre les collines par endroit interrompue du rouge des rivières, des routes et des toits de tuiles. Par endroit on aperçoit les rizières, les paysans qui y travaillent aides de buffles (je me serais plus attendu a voir tout ça en Thaïlande ou plus a l'Est) et des bateaux de pêcheurs sur les rivières et les petits lacs qui déploient leurs filets. La matinée commence tout juste et nous approchons de Goa. Malgré l'assurance de mes compagnons de voyage du contraire, je prends le temps de vérifier dans un guide que la station où nous sommes est celle où je dois descendre et je descends assez précipitamment du train, ce qui abrège considérablement les au revoir. Eux vont plus loin, retrouver les plages moins fréquentées des touristes. Sans infrastructure adaptée donc, mais ils sont la pour prendre leur temps. Moi j'ai besoin d'un hôtel pour la nuit, et je fais confiance aux premières pluies pour avoir chasser les touristes. Je prends un rickshaw (trop cher, mais a cette heure je n'ai pas envie de négocier sur trente roupies, d'ailleurs j'ai rarement envie de négocier, je préfère partir quand les prix sont par trop exagérés, quitte a perdre du temps) et arrive a Old Goa. Séance de photo qui hélas ne saurait rendre l'impression que m'a fait ce lieu. Je savais à quoi m'attendre mais tout de même ce cimetière de cathédrales, ces églises si semblables a celles que j'avais pu voir au Portugal, perdues a l'autre bout du monde au milieu d'une flore si différente, me captivent. Je commence par la basilique Bom Jesus, ou se trouve la corps momifie de Saint François-Xavier (place en hauteur, on n'en voit que la tête, et bien que les photographies le montre assez délabré, dans la pénombre son profit m'apparaît nettement reconnaissable, contribuant a cette impression de s'être égaré ailleurs et en une autre époque). Ensuite la cathédrale Sainte Catherine (jour de l'arrivée des Portugais sur place), l'église Saint François d'Assise (j'avais craint un instant que mon patron n'ait été oublie), un couvent dont la tour en ruine domine le site, une autre église un peu a l'écart (mais les bâtiments ne sont pas éloignés de plus de cent mètres) et plus bas une arche royale qui mène à la rivière. Je m'y arrête quelques instants. C'est de la que partaient les bateaux qui firent de ce port, avant son ensablement, le plus riche du monde. Aujourd'hui la ville et ses deux-cent milles habitants ont disparu, ne laissant derrière eux que ces églises. Visite assez rapide, j'ai encore beaucoup a faire et peu de temp. Je prends la bus pour Panjim, la nouvelle capitale de l'état. Quatre roupies ... j'ai vraiment l'impression de m'être fait avoir par le rickshaw. Panjim donc. Passée la station de bus, laide et décrépie comme tous les bâtiments modernes ayant passe plus de quelques années sous le climat indien, je m'engage dans les rues de la ville. Changement, pas radical mais tout de même énorme, avec Bombay: la ville est toute petite, les gens différents (enfin des femmes qui portent autre chose que des Saris), la circulation moins dense et plus aimable. Au détour d'une rue je photographie un nouvelle église portugaise, puis j'entre a l'office du tourisme. En effet, j'ai oublié de vous le dire mais à la gare où j'étais descendu on m'avait informe que le train du retour étant complet je devais me rendre à Panjim (de toute façon sur ma route) pour avoir une chance de bénéficier du quota touriste. C'est l'heure du repas et l'unique employée présente, que je réveille, m'indique que les réservations se font à la station de bus. Je commence à me trouver terriblement incompétent dans l'art de préparer mes voyages. Plutôt que de bêtement faire demi-tour, je décide de poursuivre ma visite de la ville. Comme j'ai visiblement dépassé le restaurant où je comptais aller, je pousse jusqu'au marché, un peu dans le genre Souk magrebin, ruelles étroites et couvertes. J'y achète le kilo de noix de Cajou que m'avais demandé ma logeuse (elles sont moins chères ici qu'à Bombay) et je reviens sur mes pas, trouvant enfin mon restaurant (bien camoufle). Je prends par le bord du fleuve, longeant l'ancien palais du vice-roi, et me retrouve a la station de bus (NB: tout le monde a Goa se retrouve toujours a la station de bus de Panjim, impossible de se rendre d'un point a l'autre sans s'y arrêter). Effectivement, même pour les touristes, les trains sont plein. Ou alors il me faut prendre une place en wagon climatise (quatre fois mon tarif habituel). Le choix est vite fait: je n'ai plus assez d'argent pour le train (ayant pris le minimum pour éviter de trop perdre en cas de vol). J'opte donc pour le bus, il ne reste qu'une place le lendemain a trois heures, a l'arrière, bus Deluxe quand même (cinquante roupies de plus que le train). J'achète donc mon ticket et monte dans un bus pour Calangute, la grande plage touristique de l'état (sept roupies, d'un coup j'ai très envie de rester plus longtemps et de voyager uniquement dans Goa). Je fais un petit tour rapide des hôtels que recommande le Routard (vraiment je les trouve bien quand ils se donnent un peu de peine). Assez peu attirants dans l'ensemble. L'urbanisme ici est celui d'un village qui a grandit trop vite, le temps est gris, tout a l'air plus ou moins délabré et a l'abandon. Et pour moins de cinquante francs (la catégorie supérieure quand même) j'opte pour un petit coin de paradis au milieu de tout ça. Coco Banana. Une propriétaire à la coiffure style Jackson Five, la soixantaine, dynamique et d'allure plus portugaise qu'indienne (que ce soit dans le physique ou la tenue). J'ai donc une chambre telle que j'aurais pu la rêver: un lit double, au dessus un ventilateur et un toit en tuile aux poutres apparentes, une salle de bain rien qu'à moi, une terrasse avec chaise longue et un jardin superbe. Quelques bestioles qui traînent, mais plutôt sympathiques. Je laisse le plus lourd de mes affaires et part me promener sur la plage. Guère différente de celles de France, si ce n'est que les palmiers remplacent les pins. La soirée se passe tranquillement, je me détends enfin un peu, enfin dans un endroit calme, le bruit de l'océan remplaçant celui des voitures, je profite de la soirée, lit un peu et me couche assez tôt (une chambre fraîche, j'ai envie d'en profiter un peu). Pas trop ennuyé par les moustiques pendant la nuit (énormes), mais l'idée de lire sur la terrasse m'est passée très vite. Le lendemain, je sors prendre mon petit déjeuner (même prix que le rickshaw, tant pis). Il commence a pleuvoir. Pas tout a fait prévu. Je m'en fiche: l'eau est chaude, le temps aussi, pas question que je reporte plus longtemps ma première baignade de l'année. J'achète donc un maillot (sûrement trop cher aussi) et sors de ma chambre n'ayant sur moi que la clé, mon maillot et mon T-shirt. Je passe une heure a jouer dans les vagues, pas trop loin du rivage car le courant est dangereux. Autour les Indiens font de même. L'atmosphère est beaucoup plus détendue que ce a quoi je suis habitué : si peu viennent aussi loin que moi dans l'eau (les courants sont dangereux et les sauveteurs vigilants ne laissent personne s'éloigner), ceux de mon âge s'amusent à faire des châteaux de sable quand les plus vieux s'élancent en groupe dans la mer. La population féminine est cependant sagement cantonnée à la plage. Que des Indiens, les touristes sont tous partis. J'essuie une ou deux averses, mais il suffit de rester dans l'eau pour se réchauffer, et épuisé je retourne a l'hôtel prendre ma troisième douche depuis mon arrivée. Je dis au revoir à la charmante propriétaire. Si quelqu'un y retourne, attention: elle a cédé la majeure partie de ses bungalows à son fils, qui semble fort peu reconnaissant, et la partie dont elle s'occupe à présent s'appelle Dream Boat. Nom qui lui va très bien. Je prends un repas délicieux (routard forever ...), profite de mes derniers instants sous le soleil qui se montre enfin puis reprends le bus pour Panjim. Bref séjour, mais j'y ai vu et fait tout ce pour quoi j'étais venu, même me reposer, je suis heureux. Le bus Deluxe mérite son nom: standard européen, ça me rappelle les sorties de classe, avec même assez de place pour les jambes. Quand je vois tanguer les autres bus avec leurs banquettes en bois, je me trouve plutôt bien logé. Seule la version couchette me semble plus enviable, mais je ne vais pas trop en demander. Je comprends rapidement pourquoi l'arrière est peu prisé : au premier trou dans la route, je me retrouve a dix centimètres au dessus de mon siège (et ceci n'est pas a prendre au sens figuré). Étant je suis le seul non Indien du bus, le contrôleur fini quand même par me proposer une place au milieu. "Français" me dit-il. "Yes" réponds-je avec un grand sourire. Comme il a l'air de vouloir que je le suive, il répète. "Front seat". Ca m'étonnais aussi qu'il connaisse le Français. Le dernier francophile que j'aie rencontré, le matin même au café, connaissait "Marc, Sylvie et Pascal" de Paris, et comme d'habitude me proposait de la drogue. Je paie mon repas du soir encore trop cher (une habitude, mais perdre trois francs de temps en temps aurait tendance a peu me motiver pour négocier) et arrive trop tard a Bombay (le bus avait quelques ennuis mécaniques) pour rentrer chez moi. J'ai un peu honte de mon pantalon sale (surtout les fesses, il faudrait que j'investisse dans un morceau de tissu pour m'asseoir), de mon visage pas rase, mais personne ne semble le remarquer. Retour tot a la maison, je donne mes noix de cajou et mon linge a laver, puis me couche rapidement.

C'est tout.

François.

PS: quand je vois ce que j'ai tapé je renonce à relire. Milles excuses pour les erreurs d'orthographe.

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