mai 2000 - juin 2004 | un chat dans la ville Vendredi 5, pour les elfes. Je me décide à écrire, et ceux dont j'ai déjà apprécié l'ouverture d'esprit me semblent être les meilleurs destinataires. C'est une ville qui vue du ciel semble ne jamais devoir finir. Ce sont des maisons, des lumières et des routes qui vont jusqu'a l'horizon. Ce sont quinze millions de personnes qui vivent ou qui dorment alors qu'au milieu de la nuit un avion atterrit. Dehors l'air est chaud et humide, véritable sauna dans lequel il faudra pourtant vivre les trois mois à venir. Dans l'aéroport, l'air conditionne apporte un instant de répit, alors que déjà l'indéchiffrable langage des panneaux et le lent délabrement des lieux apporte les couleurs du pays à ce qui ailleurs n'aurait été qu'un lieu anonyme. Les douanes péniblement passées (un chat ce n'est pas très intelligent, surtout sur le coup de une heure du matin et après seize heures de voyage - ceci ne vaut évidemment pas pour la gent féminine) reste à trouver un taxi pour le centre ville. Quelques errements et arnaques plus loin (mais ici même les arnaqueurs gardent toujours le sourire et tout se passe finalement assez bien, si ce n'est une légère perte de temps, mais perdre du temps et savoir attendre, c'est aussi très local) arrive donc le taxi tant espéré, prépayé cette fois, système contrôlé par la police, guère plus cher et qui a l'immense avantage d'éviter les embrouilles. Les rues sont sales et polluées, semblent toutes identiques et le trajet est interminable. Sur les trottoirs, les gens dorment, il y a ici autant d'habitants dedans que dehors ; partout presque autant de chiens errants sommeillent eux aussi. Arrêt à la station d'essence, puisque les taxis en stationnement n'en conservent que le minimum afin de ne pas être voles, et évidemment la voiture refuse de démarrer. Vu son age, impossible de trop lui en vouloir, et en poussant vaillamment elle fini, après cinq ou six essais, par redémarrer. Arrivée enfin au bord de cette mer qui baigne la ville, apportant un peu de fraîcheur en même temps que plus d'humidité. On ne peut pas tout avoir. L'hôtel Oberoi est après ce qui précède un véritable paradis en version climatisée, avec des prix à la hauteur (la bouteille d'eau minérale sera bien suffisante) et un personnel empresse. Après quelques essais infructueux avec un téléphone à pièces, qui dévore unes à unes mes roupies, arrive enfin Indur - fort estimable tuteur - ses cheveux blancs ébouriffés lui donnant l'air d'un vieux chat réveille au milieu d'une sieste (ce qui est plus ou moins le cas). Le lit est accueillant (a cette heure il n'est plus temps d'être difficile) mais le bruit que fait le ventilateur oblige à l'éteindre. Le sommeil reprend cependant bien vite ses droits. Bombay, l'Inde telle qu'elle se rêve elle même. Cite ou se produisent le plus de films dans le monde, ville de contrastes, si différente parait-il du reste de son pays. Au matin les surprises reprennent leur cours régulier : dans la cuisine préparant le petit déjeuner se trouve Susan, l'épouse d'Indur. Américaine, elle vit avec lui en Inde depuis trois ans. Apparaissent également leurs deux filles, Malika, huit ans, et Vivika, douze. Plus un cinquième personnage dans cette représentation familiale, Nagesh, jeune garçon ayant récemment remplace son aine en tant qu'aide pour toutes les taches domestiques. Le sixième acteur est absent et j'en reprends le rôle - ainsi que temporairement la chambre : il s'agit de la nièce d'Indur, partie en Bosnie rejoindre son père diplomate des Nations Unies. Le troisième frère d'Indur est avocat et vit juste au dessus avec leur mère. Puis c'est ensuite en taxi et à pied, accompagne d'Indur, une première découverte de la ville. Les arbres luxuriants dispensent sur les trottoirs une ombre bienvenue. Dans les parcs et tous les espaces libres se ressemblent les joueurs de cricket, sport national ici. C'est dimanche et tout Bombay est de sortie, les touristes (surtout Indiens, peu d'étrangers présents en cette saison) s'ajoutent au nombre puisque ici ce sont les vacances (jusqu'au quinze juin, après il pleut pour trois mois et l'école reprend). S'alignent donc au centre de la ville tous les bâtiments victoriens, musées (l'entrée est à une roupie pour les étudiants), écoles, jardins. Un peu plus loin l'imposante et tout aussi britannique porte de l'Inde d'ou partent les bateaux pour les îles voisines. En fin de journée moi malin matou pointe mon nez à l'extérieur et commence en bord de mer, sur Marina Drive surpeuplée à cette heure, une première promenade en solitaire. Seul il est facile de fendre la foule, personne ne se bouscule mais les groupes sont nombreux, principalement composes d'hommes (qui se tiennent naturellement la main) ou de couples (un brin plus distants). S'alignent jusqu'a la pointe bicoques proposant leurs repas, montreuses de singes et manèges à main.. Au retour par le centre ville déjà les rues se vident et j'ai la joie de ne pas me perdre. A peine un ou deux mendiants, deux ou trois regard insistants face à l'étranger qui passe, mais toujours dans le calme. Une seconde nuit passe, sous le courant d'air du ventilateur, apportant malgré le bruit une indispensable fraîcheur (et le rhume qui va avec). Dans la rue, les Indiens cultives se parlent entre eux en Anglais. Pas pour faire snob, simplement parce que c'est la langue qu'il parlent le mieux, celle qu'ils pratiquent chez eux, celle dans laquelle ils ont fait toutes leur études. Après une seule journée ici j'ai l'impression qu'une semaine a passé. Tout est nouveau et passe trop vite. Je lézarde et fait la sieste en ce premier mai, récupérant un peu de la fatigue du voyage, plus grande que je ne l'aurai pense. Au soir nouvelle balade, plus longue et par des chemins plus écartés, la forme toute en longueur de la ville laissant peu de chance de se perdre. A chaque coin de rue je m'étonne, curieux et naïf comme à mon habitude. Un temple au milieu de la route fend en deux la circulation. Chaque jardin est une petite jungle miniature. Des estrades se montent et plus tard j'aperçois, au fond d'une ruelle, une scène animée en occupant toute la largeur : un automate représentant une divinité mi-singe mi-femme, sur fond de musique indienne traditionnelle, et devant laquelle les gens viennent pries et faire des offrandes. Juste derrière un vieux cimetière au milieu des arbres, oublie dans la ville, bordant un nouveau jardin. Les rues semblent sans cesse se terminer en impasses, mais il n'y a jamais longtemps à attendre avant qu'un groupe arrive en sens inverse, me découvrant une porte en contrebas qui débouche sur une nouvelle avenue. Ou se succèdent une école catholique, l'église qui l'accompagne, le temple hindou et de nouveau les magasins qui peu à peu me semblent plus familiers (au départ j'y posais à peine un regard attendant sans doute les vitrines accrocheuses de nos villes, alors qu'ici il faut se donner la peine d'en regarder l'intérieur pour savoir ce qui s'y vend - surtout quand on ne lit pas couramment l'Hindi). Je m'offre quelques minutes de repos en chemin sur la plage de Chowpatty, au milieu d'une foule moins dense que je m'y attendais, contemplant la baie et les lumières de Marina Drive. Troisième nuit. En fin de compte ce stage ressemble un peu à mon précédent - en fonderie : même chaleur et même omniprésence de la poussière. Peut-être que j'aime ça, qui sait ? Plonge au cur des oeuvres de Marcel Proust, je relève une phrase qui semble bien s'appliquer à mon cas "Il est humain de chercher la douleur et aussitôt à s'en délivrer". Lui parle d'amour, évidemment. Moi et l'amour ça fait deux, mais sans doute me plait-il de rechercher les extrêmes. Sinon ce fut mon premier jour au travail, un peu surprenant lui aussi, mais peut-être hors sujet. Ce soir la, pas de sortie. Nouveau jour, visite d'un premier logement possible, cher et pas terrible, dix-neuvième étage sans fenêtre, alors que pourtant des autres pièces la vue est superbe. Aussi une autre chambre dans un quartier plus populaire : ca avait l'air bien mais hélas le locataire actuel s'est décide à rester, pas de chance. Le soir, à peine le repas fini, je me décide pour une petite soirée au cinéma : Indur me met dans un taxi (l'indigène moyen comprend étonnement peu mon anglais ...) et je dévore Girl, Interrupted. L'ambiance est assez calme (il est onze heure du soir, c'est un peu normal), les publicités indiennes sont amusantes (on leur pardonne même la pause publicitaire au milieu du film) et je reste jusqu'a la fin du générique pour goûter la musique de Downtown (Petula Clark je crois, chanson découverte récemment sur le partage de quelqu'un qui se reconnaîtra). Je rentre à pied (les chauffeurs de taxi soit n'aiment pas mon anglais, soit refusent de faire une course aussi courte) et me fait presque agresser par des chiens, qui aboient sur mon passage, l'un d'eux tentant même de me mordre. Zut, ils m'ont reconnu. Avouons tout de même que dérange à cette heure de la nuit (mais quelle idée aussi de dormir sur les trottoirs, avec les voitures folles qui passent dans la rue je suis suppose passer ou moi ?) j'aurai pu mal réagir. Coût total de la soirée, taxi plus cinéma : 80 Rh ( 13 francs, mais la nuit c'est forcement plus cher). Rien de vraiment nouveau depuis, j'attends le week-end et un logement indépendant pour pouvoir en découvrir plus. Tout ça pour dire que je ne pourrais pas venir en Ardèche, que j'en suis désole, qu'il ferait sans doute meilleur la-bas mais que je ne voudrais partir d'ici pour rien au monde tant que j'ai encore des choses à voir (et l'Inde est vaste). Grosses léchouilles à tous (et à toutes) C'meyth |